Malgré l'essor des produits et méthodes de lutte alternatifs, les bioagresseurs telluriques restent aujourd'hui un sujet d'inquiétude majeur pour les producteurs céréaliers et légumiers en agriculture biologique. Présents partout en région Hauts de France, pénalisants pour le rendement comme pour la qualité des productions, leur gestion s'avère souvent très problématique pour les producteurs.
Si une rotation longue et diversifiée reste aujourd'hui le principal levier de gestion contre ces bioagresseurs, cette dernière ne suffit pas toujours à éviter l'apparition et le développement de ces derniers. Afin de mieux lutter contre ces derniers, Agro-Transfert, en lien avec ses partenaires techniques, vous propose plusieurs ressources pour limiter le développement de ces derniers.
Vous trouverez dans les onglets ci-dessous:
-Des éléments de compréhension du cycle de vie et de la biologie du bioagresseur concerné afin de mieux appréhender la lutte contre ce dernier
-Un listing des principaux leviers de gestion existants contre ce dernier, présentant leur efficacité potentielle et le degré de connaissances actuel de ces leviers, ainsi que le renvoi aux publications détaillant ces leviers.
-Une fiche calendrier vous présentant succinctement les solutions techniques possibles à mettre en place en fonction du mois de l'année et du cycle de vie du bioagresseur.
Les documents complets sont disponibles au téléchargement en bas de chaque onglet.
CONTACTS
Chef de projet
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Chargée de mission "Evaluation et gestion des risques agricoles"
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Aphanomyces euteiches est une espèce d’oomycètes pathogènes des plantes, de la famille des Leptolegniaceae. Aphanomyces est responsable d'une pourriture racinaire, qui peut infecter diverses espèces de légumineuses. Parmi les plantes touchées, on compte notamment les pois, la luzerne, les haricots vert et rouge, la vesce, les trèfes et les lentilles, les gesses. Toutes ces espèces sont hôtes et multiplient le pathogène. Le pois chiche, le lupin, le lotier et le fenugrec sont considérés comme plante non-hôte (Moussart, 2011). La féverole, le soja et le sainfoin sont plantes hôtes mais très résistantes. Une publication de Terre Inovia et Arvalis (2017) démontre que dans une même espèce certaines variétés sont données résistantes alors que d’autre sont sensibles.
Les symptômes de la maladie varient relativement peu selon les plantes-hôtes et comprennent en général une réduction du volume et des fonctions des racines, entraînant un rabougrissement de la plante et une chlorose du feuillage. En revanche, la période sensible ainsi que la propagation de la maladie au champ peuvent grandement changer selon l’espèce cultivée et les conditions pédoclimatiques de l’année.
De manière globale, A. euteiches affecte en premier lieu les racines et les parties sous-terraines de la tige. Les toutes premières infections se manifesteront à l’extrémité des radicelles puis s’étendront à la racine principale et à la tige. Au départ, les tissus racinaires infectés apparaissent gris et gorgés d’eau. Les lésions deviennent ensuite jaunâtres puis noirâtres, et très évidentes 3-4 jours après l’infection. La pointe des racines étant affectée, les racines ne s’allongent plus. Le système racinaire devient ensuite brun, mou et se caractérise par l’absence de nodosités fonctionnelles. Dans le cas d’un climat humide persistant, la pourriture se développera également au bas des tiges puis le feuillage sera potentiellement marqué par des chloroses, des nécroses et un étiolement marqué.
Les symptômes sont parfois difficiles à distinguer d’autres organismes infectieux, comme Pythium, Rhizoctonia ou Fusarium. Cependant, contrairement à Pythium, A. euteiches cause rarement la fonte des semis ou le pourrissement de la graine. Les lésions causées par Rhizoctonia sont creuses et chancreuses tandis que l’infection par Fusarium est distinguable par la décoloration noire-rougeâtre des tissus vasculaires, qui peut être vue par une coupe transversale.
L’importance des dégâts varie grandement en fonction du stade de croissance des plantes au moment de l’infection par le champignon.
Généralement, si l’infection a lieu dans les premiers stades de développement de la plante, les dégâts seront plus importants et le rendement sera davantage impacté. En effet, en cas d’attaque du champignon peu de temps après la germination ou la levée du pois, l’infection se manifestera par la perte de nombreuses plantules, Aphanomyces faisant pourrir rapidement l’ensemble du système racinaire ou étant succédé par d’autres champignons tel que Fusarium oxysporum, Phoma medicaginis, Fusarium solani et Chalara elegans.
Sur de jeunes plants en développement, avant la floraison, l’infection se manifestera par du nanisme, un jaunissement des feuilles, un flétrissement et un dépérissement des plantes. Les plants qui survivront ne produiront qu’une ou deux gousses ne contenant la plupart du temps qu’un ou deux très gros pois.
Si des plants adultes sont infectés et que les conditions ne sont ni trop chaudes, ni trop sèches, les symptômes observés seront négligeables. Dans le cas contraire, les gousses peuvent être inégalement remplies. Au début de la floraison, les pathogènes secondaires cités plus haut vont venir assombrir les nécroses, et induire un dessèchement des racines.
En végétation, on constate globalement la présence de foyers de maladie. Les parties aériennes sont frappées de nanisme et/ou jaunissement et on constate un faible nombre de gousses et de grains par gousses. Les foyers les plus affectés correspondent généralement à des zones hydromorphes, présentant un fort pourcentage d’argiles, compactées ou subissant une irrigation trop importante.
Aphanomyces est un champignon microscopique et aquatique de même typologie que les Pythium et Phytophtora. Il peut se reproduire de manière sexuée au moyen des oospores (unité de conservation dans le sol) mais c’est majoritairement grâce à des zoospores d’origine asexuée (unité infectieuse), en grand nombre, qu’il se reproduira. Aphanomyces est considéré comme une maladie monocyclique ; ce qui signifie un cycle par an.
Reproduction asexuée par les zoospores
En fonction des conditions du milieu, l’oospore*, qui constitue l’inoculum primaire, va germer pour former un hyphe mycélien ou un sporange filamenteux.
Le mycelium d’Aphanomyces est siphonné. Les jeunes hyphes* du mycelium* deviennent des zoosporanges de types filamenteux, longs de 1 à 2mm. A l’intérieur des zoosporanges se différencient les spores asexuées appelées zoospores*. Il existe deux types de zoospores : les zoospores primaires et les zoospores secondaires ; Les zoospores primaires migrent à l’extrémité du zoosporange où elles s’enkystent*. A partir des zoospores primaires enkystées se forment ensuite des zoospores secondaires.
Les hyphes contenant les zoosporanges sont naturellement détruits dans le sol. Pour cette raison, le mycelium joue un rôle peu important dans la constitution de l’inoculum primaire. La viabilité des zoospores secondaires est estimée à 5 ou 6 jours en conditions naturelles (Papavizas et Ayers, 1974). Un sporange libère entre 300 et 400 zoospores biflagellées.
Les zoospores secondaires sont des structures mobiles particulièrement adaptées à l’eau car munies de flagelles, sortes de queues leur permettant de nager d’une racine à l’autre. Une fois arrivées au site d’infection, elles s’enkystent* ; après avoir perdu leur flagelle, elles commencent à germer et pénètrent dans le cortex de la racine grâce à leur mycélium.
Le déplacement de la spore vers la racine se fait par chimiotactisme* des composés végétaux racinaires. La zoospore, attirée par la racine, s’enkyste à son contact, perd ses flagelles et forme très rapidement une paroi. Il semblerait que la zoospore s’enkysterait préférentiellement sur la zone située au-dessus de la coiffe racinaire, au niveau de la zone d’élongation racinaire.
L’infection se déroule en moins de deux heures. Une demi-heure à 40 minutes après enkystement, la spore forme un hyphe mycélien qui pénètre dans la racine et assimile ses nutriments. Après plusieurs heures, la croissance du mycelium devient inter et intracellulaire. Les hyphes progressent dans la racine et environ 60 heures après inoculation, l’ensemble du cortex racinaire est infecté.
Reproduction sexuée par les oospores
A l’instar des zoospores, les oospores peuvent germer et infecter directement les racines des pois. Ce type de spore peut se conserver plusieurs années car leur paroi cellulaire est très résistante. On estime que les oospores ont la capacité de rester dans le sol sur une période allant de 10 à 20 ans et peuvent résister à des températures de -20°C.
Lorsqu’elles germeront, les oospores produiront des mycéliums, ce qui recommencera le cycle.
Les facteurs favorisant l’augmentation du pouvoir infectieux d’un sol sont :
• Le nombre de cultures hôtes (pois et autres légumineuses sensibles)
• La réceptivité du sol (sols de craie peu réceptifs)
• La quantité d’eau reçue et d’eau libre dans le sol
Les spores d’Aphanomyces euteiches peuvent être disséminées de plusieurs façons. L’eau est la plus importante car elle transportera les zoospores.
Il suffit de moins de 24H de saturation en eau pour propager la maladie. Un sol constamment humide peut favoriser l’infection de 50% des plants d’une parcelle en moins de deux semaines.
Certaines argiles et limons plutôt lourds ont ainsi naturellement tendance à favoriser la propagation de la maladie. Cependant, des sols légers tenus constamment humides par l’irrigation peuvent également favoriser le développement du champignon.
Une mauvaise structure au moment de l’implantation de la culture et une irrigation précoce, auront des effets dévastateurs sur les jeunes plantules.
En termes de températures, le développement commence à partir de température > 5°C sol, vers 10°C l’évolution est lente, l’optimal d’infection est fixé à 16°C pour un intervalle de 14 à 18°C mais aphanomyces sera plus destructeur si la température atteint 28°C avec beaucoup d’humidité relative. En effet, un climat chaud et sec permettra aux plants infectés d’exprimer les symptômes de manière plus rapide et intense parce que les racines peu fonctionnelles amplifieront l’effet du manque d’eau.
Les symptômes apparaissent plus tôt et évoluent plus rapidement lorsque le niveau d’infestation de la parcelle est élevé. Lorsque la parcelle est fortement infestée, les pertes de rendement peuvent être très importantes (60% et plus). Lorsque la parcelle est faiblement infestée, la maladie peut passer inaperçue (présence possible de petits foyers aux rendements plus faibles).
Au vu des simulations INRA, la répartition de l’inoculum dans le sol d’une parcelle est assez hétérogène mais l’inoculum se retrouve fréquemment jusqu’à 60 cm de profondeur minimum dans le sol.
Les débris de plants malades ainsi que les semences contaminées porteront surtout des oospores. C’est souvent par les semences contaminées que des champs, jusque-là indemnes, sont infestés.
Les zoospores ne survivent pas plus de 4 à 5 jours dans le cas où elles ne trouvent pas de racines saines à infecter. Les oospores sont capables de survivre 10 à 20 ans dans le sol. Le sol infecté pourra contenir toutes les formes de reproduction du champignon.
La présence de plantes-hôtes sensibles à Aphanomyces dans un champ influencera cette longévité. D’après Papavyzas et Ayers (1974), près de 90 espèces de plantes cultivées et indigènes pourraient être infectées par Aphanomyces. Parmi ces différentes plantes, 50 sont des légumineuses comme le pois. Le soja ne serait potentiellement pas affecté. 10 espèces de graminées fourragères, céréalières ainsi que légumières seraient des plantes hôtes : orge, avoine, blé, maïs, laitue, concombre, tomate et carotte.
D’après A. Moussart (2011), la maladie est très fréquente dans les parcelles ayant déjà porté au moins une culture de pois sur 20 ans. Le pathogène est détecté dans 60 à 90% des parcelles enquêtées en Eure-et-Loir et en Seine et Marne. Toujours d’après A. Moussart, la fréquence moyenne est de 65% des parcelles infestées dans l’ensemble des régions françaises. Cependant, le niveau d’infestation des sols peut être très variable. Le choix du type de pois (pois de printemps/ pois d’hiver) joue également un rôle important. La maladie est moins préjudiciable sur pois d’hiver (échappement partiel).
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